Dans son résumé des principaux événements concernant la Libération de Vagney, Charles Gley, majordome du curé Varenne, inscrivait en pages des jeudi 5 octobre et dimanche 19 novembre :
J5 : Les Allemands emmènenet 42 hommes et jeunes gens.
D19 : Gérardmer délivrée ; nous assistons le soir au retour de Luc Grosjean et des fils Tisserand. Tous les hommes emmenés le 5 octobre sont revenus sauf trois dont Abel Mathieu.
Les témoignages écrits par l’abbé Michel Claude, par son frère René Claude et celui de Luc Grosjean, recueilli par sa fille en 2000, nous ont été d’une aide précieuse pour comprendre ce qu’il était advenu de ces quarante-deux hommes durant ces quarante-six jours particulièrement tragiques de l’histoire de la guerre dans notre région.
Depuis le 12 septembre, les Allemands en déroute tentent des opérations de la dernière chance. Dans le même temps, Vagney essuie d’abord les bombardements américains et les habitants se terrent dans les caves. Les rues sont désertées ou presque. Presque, car en ce jour du 5 octobre, Luc Grosjean sort pour quelques courses mais il est interpellé près de la fontaine par un officier allemand :
Kommen hier ! – Nein ! Mais
un grand frizou le rattrape au pas de gymnastique et l’entraîne sur la place où des hommes et jeunes gens sortent de partout. Quant à René Claude, il répare une porte d’entrepôt avec son frère lorsqu’ils sont eux aussi interpelés. Partis sans vêtement, certains en sabots, sans saluer leur famille, quarante-deux voinrauds marchent sous la menace des armes une partie de la nuit pour parvenir à Gérardmer, via le Phény, ignorant tout du sort qui leur est réservé. Ils craignent par dessus tout d’être incorporés dans l’armée allemande !
On les parque à la mairie de Gérardmer et ils apprennent qu’ils devront dès le lendemain matin creuser des tranchées. pour certains, les conditions de vie vont rapidement s’adoucir car ils sont logés, comme Luc, chez l’habitant, venu spontanément proposer un hébergement. Quelques hommes réussissent à échapper aux journées de labeur en se cachant mais au risque de provoquer des représailles auprès du maire de Gérardmer qui s’est porté garant.
En rentrant de leur travail forcé, Luc et son compagnon René Adam réussissent souvent à substituer pain et viande destinés aux Allemands, et rendent ainsi service à la population accueillante.
Le 3 novembre, un reportage radiophonique parle d’une attaque faite pour dégager Vagney,
ce carrefour si funeste à nos convois par suite des perpétuels bombardements boches. Les prisonniers voinrauds s’interrogent : que devient leur famille, que vont-ils retrouver de Vagney ?
Le 13 novembre, ordre est donné à la population géromoise d’évacuer et de se réfugier au centre-ville. Un pillage s’organise durant trois journées, puis des mines sont posées par les Allemands dans les maisons pour préparer l’incendie, les bâtiments se volatilisent en un clin d’œil dans un bruit de tonnerre et une pluie de pierres. A partir de ce jour, Luc Grosjean se cache avec quelques camarades chez une habitante de la seule rue de Gérardmer épargnée par le feu, et ce jusqu’au 19. Pendant ce temps, Michel, René, Pierre et Bernard vont de cachette en cachette pour éviter le brasier mais aussi une autre rafle.
Le 17 novembre, les Allemands es préparent à incendier ce qui a été épargné. Puis, exceptée la gestapo en civil, ils disparaissent.
Le 19 novembre,
la 3ème Division d’Infanterie Algérienne arrive à Gérardmer, accueillie et acclamée par une foule qui donne libre cours à son enthousiasme. Luc et dix de ses camarades sont chargés d’informer les soldats français en poste au col de Sapois sur les récents événements. Ils partent, à pied, dans la neige, évitant les mines et les barricades. Soudain, un coup de feu les force à se jeter dans le talus. Est-ce les Allemands ?
D’un coup, on voit des mulets et des gars tous bruns qui marchent en silence : ce sont les spahis, les troupes marocaines ou algériennes, avec leurs ânes qui portent le matériel et les fusils mitrailleurs.
C’est ainsi que les rescapés de la rafle du 5 octobre redescendent sur Vagney, à pied, en suivant cinq chars de l’armée d’Afrique, sans dévier de la route, afin de ne pas faire exploser les mines anti-chars !
Revoir Vagney, libérée,embrasser les siens ; la guerre ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir et le 8 mai suivant, les cloches sonneront à la volée dans le clocher sinistré mais debout, pour annoncer l’armistice et la fin officielle du conflit.
Article rédigé par Danièle PERRIN – Vagney Infos n°4 Mai 2010
Sources :
– Témoignages de Luc Grosjean, Michel et René Claude, Gérardmer cité martyre (G. Martin)
– Photos Pierre Pétin, collection Yves Martin
N.B : boche et frizou, mots d’époque n’ont plus cours aujourd’hui |